Reportage, publié le 18.10.2020

Une escale pour les limicoles :

AUBE NOUVELLE DANS LA PLAINE DE L’ORBE ?

– SUISSE –

Texte par Frédéric Bacuez et photographies par Jérémy Calvo

Au coeur de la plaine maraîchère de l’Orbe, au sud du lac de Neuchâtel, un grand champ de 5 hectares artificiellement inondés via une prise d’eau dans le ru limitrophe : bienvenue à ‘l’escale limicoles’ d’Yverdon-les-bains ! Alentour en ce petit matin du 11 septembre, la noria des machines et remorques agricoles est aussi matinale que les rares ornithologues qui prennent place sur le terre-plein partagé avec nos ‘amis’ cultivateurs. Dans le champ voisin de l’espace immergé, un tracteur-pulvérisateur arrose sa parcelle – pas du même liquide. Gardons les yeux, et les longues vues, sur notre périmètre dédié ; ne faisons pas la fine bouche, voilà une initiative et un partenariat quasi uniques en leur genre, en Suisse assurément, et probablement dans une grande partie de cette Europe continentale qui a eu la peau des marais « insalubres » et de leurs miasmes incompatibles avec le Progrès.

Bécasseaux variables à « l’escale limicoles » ce 11 septembre 2020

Escale, mais encore « restauroute », « station-service », le vocabulaire très humain décrit pourtant l’enjeu. Des millions de limicoles descendus du grand Nord et à destination de l’Afrique trouvent de moins en moins d’étapes intermédiaires lors de leur double pérégrination annuelle ; des arrêts favorables à un bref repos et à d’impérieuses nécessités alimentaires. D’où cette expérience de champ temporairement inondé pour leur servir de halte : une initiative collaborative « fructueuse », entre la municipalité d’Yverdon, propriétaire du terrain ; l’agriculteur, en l’espèce la (grosse) entreprise des frères Stoll, plus grands producteurs suisses de tomates, carottes et oignons – pas moins ; et un collectif d’ornithologues emmené par le biologiste Christian Roulier et l’Association Escale Limicoles-Agriculture.

Juste à coté de « l’escale limicoles », les machines continuent leur besogne chimique ; hélas…                © Frédéric Bacuez

De la dizaine d’espèces de limis ce 11 septembre, un Combattant varié

Chevalier sylvain, très régulier sur le spot dès le début de sa mise en eau

Et ça tombe bien, ce 11 septembre 2020, trois ans après le démarrage de l’opération : à nos cotés derrière sa longue vue balayant les cinq hectares humides, Jean-Claude Muriset, ornithologue bien connu des rives du lac de Neuchâtel et des tout premiers militants du projet. Quand nous lui confions que nous arrivons de Haute-Savoie, il esquisse un petit sourire ; l’écho du projet franchit donc les frontières helvètes – si cela pouvait en inspirer ! Notre voisin aurait bien aimé que ses cinq hectares en aient quarante-cinq de plus pour plus d’hospitalité, mais il faut composer avec les autres intervenants, et les moeurs idéologiques qui évoluent (trop) lentement ; Christian Roulier confirme que la parcelle libérée demeure un terrain agricole, concédé aux oiseaux (et aux ornithologues) de mars à mai, un an sur deux, d’août à novembre, l’autre année ; « ou vice versa ». L’inondation doit aussi (surtout ?), le seul amour des échassiers eut été pour le coup une révolution, démontrer que l’immersion basse d’un champ tourbeux peut lui être très bénéfique ; pour de meilleurs rendements agricoles, nous y voilà tout de même… L’inondation entre mars et mai serait particulièrement bénéfique juste avant l’ensemencement printanier. Si cela est bon pour les oiseaux, limicoles en tête, et bon pour l’agriculteur, qu’attendons-nous pour généraliser le projet à toute l’Europe ? Pour nous ce matin, des quelque vingt-cinq espèces contactées sur le spot, dix sont des limicoles, très occupés à arpenter et sonder la tourbe en quête de vers et autres invertébrés : 4 Bécassines des marais, 3 Combattants variés, 2 Chevaliers guignettes, 8 Chevaliers sylvains, 1 Chevalier aboyeur, 1 Chevalier arlequin, 26 Bécasseaux variables, 6 Bécasseaux minutes, 7 Grands Gravelots, 1 Petit Gravelot – pas si mal ! D’autres camarades confirment le potentiel, et surenchérissent. Daniel Nussbaumer : « A chaque fois au moins une dizaine d’espèces de limicoles. » Même Ludwig Lucker fait entorse à ses habituelles et souvent justifiées réserves: « Chacun y trouve son bonheur. Même les Tournepierres ! Nulle part ailleurs en Suisse romande (et les Savoies) on peut trouver autant d’espèces (de limicoles) en même temps. » Des espèces plus rares, outre Arenaria interpres on peut déjà y observer à l’occasion du Pluvier argenté, de la Barge rousse, du Bécasseau maubèche. Et, pour les passereaux, de la Gorgebleue à miroir. Eurêka, et vive l’union (enfin) retrouvée entre agriculteurs et (certains) oiseaux !

Un chevalier aboyeur, limicole assez rare dans la région, va faire halte sur le site pour se reprendre

Localisation et étendue de la zone au sud-ouest d’Yverdon-les-Bains