– CAMARGUE – 

Un Bécasseau de Baird : les yankees débarquent en Camargue

Article publié le 21.07.2021

Textes par Frédéric Bacuez et photographies par Jérémy Calvo

En Camargue les 18 puis 22 mai 2021, un Bécasseau de Baird puis un Bécasseau à croupion blanc (de Bonaparte) sont repérés sur les vasières du Piémanson, parmi d’autres petits limicoles plus conventionnels (Grands Gravelots, Bécasseaux variables, minutes, cocorli et de Temminck). Les deux intrus sont des oiseaux dits néarctiques, bref de l’autre bord septentrional de l’Atlantique ; ils se sont trompés de route lors de leur migration saisonnière entre les deux hémisphères américains. On appelle ces égarés des accidentels. Ils attirent évidemment l’intérêt des ornithologues toujours avides d’observer des espèces rares ou inhabituelles. Jérémy et moi sommes aussi, un peu, surtout lui, de ces coureurs de trophées. Et ça tombe bien, nous avons momentanément délaissé notre AURA pour la région PACA – ce n’est pas un accident, il n’y a pas de hasard.
 

Sauf que nous prenons (trop) notre temps ; adeptes incorrigibles de la billebaude, du coup de coeur, de l’inspiration de dernière minute. Cette fois, dans les Alpilles avec les Traquets oreillards ; les Engoulevents et les Grands-ducs d’Europe. Et puis, surtout, chez l’Aigle de Bonelli, on se ferait distraire pour moins que cela. Nous arriverons donc trop tard pour le Bonaparte, et serons des ultimes à observer le Baird avant volatilisation. Le 28 mai et à notre toute dernière tentative, on a même dormi sur place, c’était moins une, ouf !

Bécasseau de Baird – Calidris bairdii photographié le 28 Mai 2021 en Camargue, France.

Le Bécasseau de Baird (Calidris bairdii) est contacté du 18 au 28 mai. Sur plusieurs clos autour de la Baisse de Cinq Cents Francs, au sud de Salin-de-Giraud. Antoine Coquis, le premier, est intrigué par ce petit limicole indéterminé, d’aspect singulier aux côtés de ses congénères. Mais c’est à Hugo Touzé, du Comité d’Homologation National des espèces rares (lui a le privilège de ‘cocher’ sans bouger de chez lui !), que reviendra la paternité de la découverte : il identifiera la trouvaille vite fait, par correspondance… Pourtant pas évident à définir au premier coup d’oeil, le petit limi’* ! Un jizz de Temminck mais en plus allongé, avec une projection des primaires plus longue que la queue. Cou et poitrine striés, pattes sombres, manteau régulièrement écaillé et festonné de tâches noirâtres. Comme souvent dans ce genre d’événement ornitho’, le défilé des Hommes à jumelles et longues vues suit de peu l’observation rapportée par nos bases de données partagées. Les mentions du Bécasseau de Baird sont nettement plus rares que celles du Bonaparte, dans notre région paléarctique : la première donnée camarguaise est de septembre 1991, par M. South et P. Yésou, ce dernier bien connu de l’ornithologie du nord sénégalais. La seconde n’est que de 2004, du 13 au 15 mai, on la doit à l’enfant du pays et porte-drapeau de la LPO-PACA, Amine Flitti.

Le Bécasseau à croupion blanc (ex de Bonaparte, Calidris fuscicollis) sera contacté du 22 au 27 mai, sur le même site, souvent en compagnie du cousin de sa ‘communauté’. Sa première mention en Camargue date de mars 1954. Amine et son fils Aubain seront historiquement les derniers à l’observer, alors qu’il ne reste que peu des limicoles stationnés sur les lagons, en route de l’Afrique subsaharienne hivernale vers le Grand Nord printanier. Nous nous ferons la même remarque le lendemain pour le Baird. Plusieurs cocorli, certes, mais plus aucun Bécasseau de Temminck depuis le 21 mai, le dernier falcinelle le 16, deux limicoles de la famille qu’on aurait bien voulu immortaliser. Et plus rien entendu du Bécasseau tacheté, troisième ‘vagrant‘ fugace de ce printemps camarguais décidément très américain, noté le 13 mai au chemin du Grand Badon par notre ‘collègue’ de Haute-Savoie Xavier Birot Colomb. Les maubèches tiendront jusqu’au 5 juin – mais nous n’en croiserons aucun, Jérémy et moi, lors de notre vagabondage entre Bouches-du-Rhône et Gard (27 soir, 28, 29, 30, 31 05). 

Bécasseau de Baird – Calidris bairdii photographié le 27 Novembre 2009 à Ancud, Chili.

S’il se faisait fort de l’ajouter à sa liste des oiseaux… de France, Jérémy a déjà coché le Bécasseau de Baird, sur ses terres naturelles ; précisément dans les quartiers d’hiver du cône austral des Amériques, c’était en novembre 2009 ; deux fois au Chili, deux fois en Argentine, à Ushuaia comme dans la péninsule Valdés, dans des bandes d’une trentaine d’individus. Quant à moi, en mars 2018 je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de descendre de Saint-Louis-du-Sénégal vers Dakar pour rejoindre Bram Piot et Miguel Lecoq et cocher, avec eux, leur premier Bécasseau de Baird, seconde mention pour le Sénégal ! *2
 
Post-scriptum : le Bécasseau de Baird doit son nom à Spencer Fullerton Baird (1823-1887), ornithologue, ichtyologiste et conservateur de muséum américain, peut-être la figure la plus importante de la zoologie du milieu du XIXe siècle aux Etats-Unis. Cinq espèces animales portent son nom, trois d’oiseaux, une de mammifère, une de cétacé. Le Bécasseau qui nous intéressait aux Cinq Cents Francs s’est vu attribuer le célèbre patronyme par un non moins fameux naturaliste, Elliott Coues (1842-1899). Les deux hommes ont influencé une génération entière d’ornithologues américains ; au point que le président Theodore Roosevelt reconnut qu’ils furent pour lui deux figures tutélaires : « I was devoted to out-of-doors natural history, and my ambition was to be a scientific man of the Audubon, or Wilson, or Baird, or Coues type. » Imaginerait-on aujourd’hui tel hommage de la part d’un de nos chers leaders charismatiques, d’Europe comme d’Afrique ?
Plus :
*2 Baird’s Sandpiper – Second Record for Senegal, par Bram Piot in Senegal Wildlife 31.03.2018